Coach agile : des postures et des paradoxes

De quelles postures parlons nous?

Le terme « coach agile » est malheureusement restrictif. Non le coach agile n’est pas que coach. Non l’adjectif agile, gouffre sans fond ou destination idéale idéalement indescriptible, est loin d’en simplifier la compréhension. Afin de parler des paradoxes associés à ce rôle, commençons au moins par s’accorder sur une définition succincte. Après plusieurs mois de pratique et de remise en question de mon propre costume de coach agile, je vous propose la définition suivante.

Le rôle de coach agile est un ensemble de postures propices à n’importe quelle transformation, qu’elle soit agile, en mode agile ou non agile. Voici une liste minimaliste des différentes postures :

  • La posture du consultant : principalement pour piloter la transformation, faire des recommandations et partager tout un tas de trucs et astuces, créer de l’engagement en agissant en tant qu’acteur du changement.
  • La posture du formateur : pour enseigner l’agilité au sens large et donc sur tout un tas de sujets (Lean Startup ou encore des techniques de Design). Cette formation peut prendre le format de mentorat.
  • La posture du facilitateur : être neutre pour faciliter des groupes de travail, des cérémonies agiles ou encore la prise de décision collective. La posture de neutralité est très souvent essentielle en entreprise et permet également le dialogue entre différents interlocuteurs impactés par un changement profond (on pourrait même parler de médiation).
  • La posture du coach professionnel : pour aider des individus et des collectifs à déterminer leur COMMENT (ce qui est moralement discutable, et éthiquement délimitable mais ce n’est pas le sujet dans ce propos).

Précisons que l’usage, la qualité et la répartition de ces postures dépendent à la fois de la demande du client (généralement le sponsor de la transformation) et du niveau de compétences propre au porteur du rôle. Autrement dit, le titre « coach agile » dans une signature de mail, d’un article ou sur LinkedIn ne vous promet malheureusement pas grand-chose. Mais vous le savez sûrement déjà.

Plusieurs articles proposent une liste plus ou moins exhaustive de ces différentes postures. Je vous conseille de lire Ma mission? Coach agile, Coach de transformation de Richard Volodarski qui fait la liste de 6 postures (Coach formateur, Coach designer, Coach leader, Coach d’évènements, Coach manager et stratège expérimenté, Coach d’autonomie… sur le départ) ou encore Coach Agile : Bien plus qu’un coach ? de Jean Claude GROSJEAN qui en dénombre 6 autres similaires (Formateur, Facilitateur, Mentor, Consultant, Coach, Agent du changement).

Maintenant que nous sommes alignés, parlons de différents paradoxes de ce rôle de coach agile qui viennent principalement de la confrontation des postures décrites plus haut.

Le paradoxe formateur sachant et du coach non sachant

Coach versus Formateur

Pour pratiquer la maïeutique*, le coach doit accepter de ne rien savoir. Ce qui est paradoxal, c’est que la posture du formateur est une posture de sachant. D’où le malaise que vivent des participants aux formations agiles en entendant un coach agile « sachant non sachant » dire: « L’agilité c’est les 12 principes du manifeste agile », « l’agilité c’est des équipes autonomes et responsables », « l’agilité c’est … ». Le coach agile détient-il la vérité sur l’agilité ? Si vous avez déjà entendu de type de phrase et que vous vous êtes sentis manipulé, c’est tout à fait normal. C’est une des conséquences néfastes à la transformation si le coach agile ne clarifie pas sa position de sachant et donc de formateur classique avant de démarrer sa formation. Par ailleurs, je trouve que la position d’expert, dans ma propre compréhension de l’agilité, est bancale. Celui qui se prétend expert n’a pas compris que la connaissance est toujours devant lui. Peut-on encore garder cette position classique en formation ?

Le remède que je vous propose? Se poser de bonnes questions. Que peut-on apprendre de l’évolution de l’éducation dans la société civile ? Comment nos enfants apprennent-ils ? Comment s’adaptent les professeurs d’école à l’heure d’internet où ce dernier propose d’avantage de connaissances que n’en aura jamais le professeur ? Quelle différence faites-vous entre enseigner et former? Il me semble que l’on peut trouver tout un tas de réponses dans l’évolution de l’éducation. De plus en plus d’enseignants – je pense notamment à différents articles sur les écoles Montessori – développent une posture basse (comme facilitateur de connaissances) ou de formation inversée (la classe apporte sa connaissance et non le professeur ; le professeur étant là pour aider la classe à assembler, modéliser cette connaissance). Le formateur devient facilitateur ou animateur de connaissances. Il anime une réflexion collective à partir d’information qu’il regroupe ou que le groupe propose. Concrètement, le coach agile doit accepter de remettre en cause ses propres croyances et ses
connaissances vis-à-vis de l’agilité pendant ses sessions de formation, en
n’imposant ni dogmes ni savoirs préconçus. Il a un rôle tout particulier à jouer pour développer le bon sens (= l’agilité) et développer la pensée critique pour éviter l’établissement de nouvelles croyances (« Après la croyance dans le plan, je vous présente la croyance dans le produit ! »).

* lire également l’article Wikipédia sur la maïeutique

Le paradoxe de la proposition et de l’injonction au changement

Coach versus Consultant agent du changement

Le(s) sponsor(s) de la transformation décide(nt) de démarrer une transformation agile. On embauche alors un coach agile pour accompagner cette transformation. Le coach arrive dans l’entreprise et commence à accompagner les équipes pour qu’elles se transforment. Nous sommes ici dans un cas connu de coaching tripartite avec le bénéficiaire (toutes les parties prenantes), le prestataire (le coach) et la structure dans laquelle peut se dérouler le coaching, représentée par les sponsors de la transformation. Très fréquemment, nous nous trouvons dans un coaching quadripartite, le coach agile étant salarié d’une agence de conseil par exemple.

Que nous révèle cette situation commune? Le contrat de coaching n’est pas directement réalisé entre le coaché et le coach et l’entreprise définit un objectif unilatéral de transformation que le coaché ne peut remettre en question. Pourquoi unilatéral ? Dans la majorité des cas, l’entreprise ne demande pas l’avis des parties prenantes pour déterminer le cap de la transformation agile. Autrement dit, il existe fréquemment une injonction au changement de la part de l’entreprise auprès des coaché(s) et par le biais du coach agile.

Quel lien avec les différentes postures ? Tout simplement, en mélangeant les genres ou plutôt les postures, on crée alors beaucoup de confusion. Pour forcer le trait, l’agent du changement est responsable de convaincre coûte que coûte les parties prenantes du bienfait de la transformation, en intégrant plus ou moins leurs points de vue et intérêts particuliers. Créer de l’adhésion : voici ce qu’achète les entreprises auprès des cabinets de conseil et différents acteurs du changement. Ceci va à l’encontre du cadre classique de coaching professionnel dans lequel les objectifs sont construits et clarifiés au début de la prestation de coaching entre les trois ou quatre parties.

Le remède tient du bon sens: clarifier le contrat, le cadre confidentiel, les pages blanches et les limites du coaching entre les différents parties prenantes et ce dès le début de la prestation. Fastidieux ? Absolument nécessaire. J’encourage vivement mes collègues coaches agiles à prendre conscience de ce paradoxe et de développer leur éthique professionnel pour y faire face. On peut pour cela s’inspirer du code de déontologie global des coaches, ingénieurs en mentorat et superviseur de l’EMCC – European Mentoring & Coaching Council. Faudrait-il y répondre de manière plus systémique à l’échelle des cabinets de conseil notamment ? Je pense que cela apporterait plus de la clarté dans l’intervention du coaching et de la gestion du changement.

Le paradoxe du résultat et de l’expertise de la prestation de coach agile

Consultant versus Coach

Un coach professionnel est-il objectivable sur le résultat de son accompagnement ? Si oui, est-ce souhaitable ?

Je souhaiterais vous partager mon opinion. De mon point de vue, un coach à qui on donne un objectif de résultat (par exemple la réussite de la transformation agile) ne peut pas rester dans sa posture basse de coach. Tout comme il est impossible d’objectiver un formateur sur la montée en compétences des participants à sa formation. Tout comme il est dangereux de donner un objectif de résultat à un facilitateur lors d’une session de travail collectif par exemple. Lorsqu’il y a objectif de résultat, il y a management de résultat, donc pilotage, donc contrôle. La réussite est hors de la zone de contrôle du
coach, du facilitateur et du formateur… Leur donner des objectifs nous fait glisser vers une posture de consultant. Un consultant qui déploie de l’agilité certes, mais un consultant agile, pas un coach. Autrement dit, un coach
agile qui doit à tout prix réussir sa transformation agile n’est pas dans une
posture de coach mais dans celle d’un consultant.

Si le coach agile n’est pas objectivable, comment s’assurer de son apport de valeur ?

La réponse que j’apporte est issue de l’agilité. Le coach agile, comme les dispositifs agiles, s’engage sur une capacité (et compétences) et un temps (rappelons que le coaching est fini dans le temps – c’est le « Coach d’autonomie… sur le départ » mentionné plus haut). Son objectif sera de maximiser la valeur de transformation avec ses multiples casquettes (nous parlerons de transformation organique une prochaine fois si vous le souhaitez).

Clarifions le cadre d’intervention du coach agile

En conclusion, j’invite les coaches agiles à clarifier avec quelle casquette et dans quel cadre ils et elles agissent. Je pense qu’il sera bénéfique à l’ensemble des acteurs de construire un cadre claire et propice à ce nouveau rôle de transformation, comportant une éthique et des modalités d’intervention claires et partagées.

Qu’en pensez-vous ? Souhaitez-vous nous faire part d’autres situations paradoxales que vous avez vécu en tant que coach agile ou en travaillant avec un coach agile ?

6 commentaires sur « Coach agile : des postures et des paradoxes »

  1. « Le remède tient du bon sens: clarifier le contrat, le cadre confidentiel, les pages blanches et les limites du coaching entre les différents parties prenantes et ce dès le début de la prestation », mais ce n’est qu’un des extraits qui m’ont parlé dans ce texte.
    Merci beaucoup pour ton retour d’expérience et ton positionnement que je partage me semble-t-il en tout point.

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    1. Merci François! Ton commentaire me fait grand plaisir!
      Aurais-tu des anecdotes à partager pour élargir / nourrir ce débat d’idée? Ou des conseils concrets à donner aux coaches agiles et/ou aux clients pour définir un cadre vertueux pour l’ensemble des parties prenantes?

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      1. oh des retours d’expérience, oui à la pelle, qui ont nourri ma connaissance des contextes à refuser et à négocier.
        Ma position aujourd’hui est facilitée par le fait d’être indépendant, ce qui me permet d’imposer les conditions à mon sens nécessaires à la réussite de la mission, notamment par la mise en place d’un contrat d’objectif, réévalué fréquemment et régulièrement, au sein du contrat de prestation, par lequel je demande notamment à ce que le demandeur soit volontaire à être coaché, tout autant que l’équipe, ainsi que l’accès sans réserve à toute personne de l’organigramme si je le juge utile. J’appui ainsi sur mon rôle de facilitateur de la transformation de l’entreprise, au delà du simple coaching d’équipe. J’ai constaté que sans cette possibilité et une fois que l’équipe est alignée sur ces objectifs, elle se confronte à la réalité homeostatique de l’organisation. Viennent alors désillusions et perte d’engagement. Je serai alors simplement intervenu comme caution de l’expression de changer cachant la réalité de ne pas le vouloir…
        Donc mon conseil pour les coachs : Faites un contrat d’objectif vous permettant de faire votre job et posez votre cadre, ne cédez pas!
        Pour les clients : L’agilité vous permet de répondre à un monde qui change… si vous changez vous aussi, sinon vous gaspillez votre argent! Si vous n’êtes pas prêts à changer, ne nous appelez pas! (et tentez de survivre dans ce nouveau paradigme 🙂 )

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  2. Merci Jérôme et François pour ces paradoxes que j’ai déjà rencontrés et qui sont tellement parlants. je partage sur le fait qu’un contrat de coaching permet de cadrer l’intervention pour se protéger de ces derniers.

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  3. Bonjour Jérôme, je viens de tomber par hasard sur votre article et je tenais à vous dire merci d’avoir su exprimer ce positionnement que je partage tant.

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