Nous prenons tous les jours soin à notre hygiène corporelle. De même, nous investissons de plus en plus de temps et d’argent sur notre hygiène mentale : des livres et formations de développement personnel, des consultations de psychologue et de psychothérapeute, des séances de coaching, du sport et de la médiation pour ne parler que des activités les plus courantes. Alors comment se fait-il que nous prêtions si peu d’attention à notre hygiène de travail en collectif ? Comment l’Agilité investie-t-elle le sujet ? Et enfin en quoi répond-elle à cette problématique de manière insuffisante ?
Je tente ici de vous apporter des réponses à ces questions qui me semblent d’une actualité forte. Vous trouverez également en fin d’articles quelques conseils de pratiques que vous pouvez mettre en place dans votre cadre de travail collectif.
Comment se fait-il que nous prêtions si peu d’attention à notre hygiène de travail en collectif ?
Tout d’abord, la plupart des organisations et des professionnelles n’ont pas conscience de ce qu’est réellement un collectif et une équipe. On forme depuis des années le management aux dynamiques individuelles plutôt qu’aux dynamiques collectives. J’en veux pour preuve votre catalogue de formation d’Entreprise. Comparez y le nombre de formations de management individuel et le nombre de formations de management collectif. Alors ? N’est-ce pas notable ?
Pour autant, le mot “équipe” est omniprésent dans le vocabulaire courant au sein de ces mêmes Entreprises. Je constate donc un décalage fort entre la prise de conscience que le collectif est un vecteur de Performance important et le niveau de compétence du Management à traiter des dynamiques collectives. Par voie de conséquences, une des pratiques essentielles du collectif – son hygiène – n’est ni abordé ni managé. La conséquence est souvent tragique : le collectif régresse et sous-performe.
Car oui, tout collectif génère des tensions répétées que seul des pratiques que je qualifie “d’hygiène” peuvent traiter. Comme la saleté qui revient, ces tensions apparaissent de manière continue. Seul un système récurrent d’hygiène collectif, vous permettra de ne pas accumuler de dette.
Je pense que le recours massif au télétravail a également amplifié ce phénomène. Des pratiques subtiles et physiques qui existaient dans le travail présentiel ont tout bonnement disparu. Apporter son soutien à un collègue plaintif à la machine à café par exemple. Mais détrompez-vous : il ne suffit pas seulement de se voir pour prendre soin de son hygiène collectif. Le retour au présentiel ne règlera pas ce problème.
Au-delà du manque de connaissance en management collectif, c’est aussi un mécanisme bien connu qui se joue dans les organisations qui ne s’intéressent pas à cette problématique. Il est toujours, et sans exceptions, difficile de prendre conscience de mécanismes qui ne sont pas visibles. D’ailleurs, même la pratique du management visuel peine à combler cette difficulté.
La dernière raison de ce manque d’attention vient pour moi de la structure de l’organisation elle-même. Le découpage en silos des organisations déresponsabilise le traitement des tensions des interactions entre silos. Chacun remet alors la faute sur l’autre et les tensions ne sont pas traitées dans un même collectif. La création d’équipes agiles en transverse de ces silos améliore grandement le traitement de ces tensions : des interfaces qui n’étaient pas claires, des désaccords qui s’étiolent par le but commun, ou tout simplement la formation du management aux dynamiques d’équipes comme je suis amené à le faire en tant que coach agile de managers.
Comment l’Agilité investie-t-elle le sujet ? En quoi répond-elle à cette problématique mais de manière insuffisante ?
Quelle étrangeté d’avoir utilisé le mot “sprint” pour décrire une itération agile. Nous sommes évidemment bien plus souvent sur un marathon qui dure plusieurs mois voire parfois plusieurs années. Un grand nombre de programmes et d’équipes agiles oublie un des principes du Manifeste Agile :
« Les processus Agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant ».
Ce principe est à la 8ème position du Manifeste Agile ; pas facile de lui donner l’attention qu’il mérite ! Une charge soutenable est en effet un socle important des dispositifs agiles. Encore un concept simple à comprendre mais pour autant très compliqué à appliquer dans des contextes d’Entreprise où le travail rime trop souvent avec labeur (sa racine latine).
Est-ce qu’avoir un rythme soutenable est assez pour traiter la question de l’hygiène collectif ? De toute évidence, non. Et par la pratique du coaching et du management d’équipe, on observe d’autres dimensions. Il peut y avoir des tensions relationnelles indues par la collaboration courante (des “petites” frictions quotidiennes) ou par la collaboration forcée (les équipiers se choisissant rarement dans le monde du travail et qui peuvent présenter certaines incompatibilités de valeurs), des tensions organisationnelles sur le flux de travail (incompréhensions, conflits de méthodes, conflits de leadership ou de non leadership), ou encore des tensions dues à un travail qui peut être répétitif (et si on parlait de pissage de lignes de code ? ). Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille d’aller jeter un œil sur les “5 disfonctionnements d’une équipe”.
L’Agilité préconise également un autre principe qui adresse ces types de tensions mais de manière insuffisante à mon sens :
À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence.
Ce principe me semble trop limité à l’amélioration continue du Lean Management. Je propose une reformulation qui me semble mieux adapté à la réalité des équipes que j’ai accompagné :
À intervalles réguliers, le collectif s’aère l’esprit, prend du recul sur les tensions générées par son travail au sein de lui-même comme au sein de l’organisation à laquelle il appartient. Il réfléchit à l’amélioration de sa qualité de travail et agile sur les leviers pour y parvenir.
Conseils de pratiques que vous pourriez mettre en place
Pratique d’hygiène collective n°1 : “Ne mangez pas plus qu’à votre faim”
Piloter de manière capacitaire l’ensemble des charges d’un projet ou d’un programme et non uniquement les plus courantes. Certaines charges, conséquentes, doivent être suivi et adapté à la capacité du collectif à les adresser. Il peut arriver que les goulots d’étranglement qui sont source de tensions au sein de votre collectif ne se situent pas là où le pensiez. C’est le cas pour l’amont et l’aval des équipes agiles par exemple, mais aussi les charges de pilotage ou de management.
Un pilotage capacitaire peut être séquencer (c’est le cas de Scrum) ou tirer (pour le cas de Kanban). Optez donc pour une solution adaptée à votre contexte.
Pratique d’hygiène collective n°2 : “Un petit massage pour faire baisser les tensions”
Mettre en place une rétrospective pour chacun de vos collectifs de quelques natures qu’elles soient : communauté de pratiques, équipe projet, équipe produit, équipe managériale, équipe commerciale, équipe de pilotage, équipe de coaches, etc… Attention, même dans les Entreprises où il existe des équipes agiles, de nombreux collectifs sont oubliés. De même, dans un cadre organisationnel à priori sain, des tensions émergeront toujours et sans exception. Ne faites donc pas la mauvaise économie de ces rituels de prise de recul et de partage.
Et ne soyez pas dogmatique non plus, une rétrospective s’adapte aux besoins de l’équipe. Celle-ci peut avoir besoin de vider son sac, besoin de se reconnecter, besoin de construire ensemble, besoin d’espérer etc… Vous laveriez-vous les cheveux quand ils sont propres ? Bon bah c’est pareil pour la rétrospective.
Pratique d’hygiène collective n°3 : “Le verre de trop”
Une transformation comme une amélioration suivent la même logique de pilotage capacitaire. Intégrer donc ces éléments dans vos charges !
Pratique d’hygiène collective n°4 : “L’air pure des forêts de sapins”
La mise en place d’une période plus douce après plusieurs itérations ou une même période de temps. La période IP (Innovation & Planning) du cadre SAFe et un moment privilégié pour faire un bilan, s’ouvrir à l’extérieur et innover (bien que ce ne doit pas être le seul). Attention aux écarts par rapport à cette brique agile pour les équipes qui travaillent dans ce cadre : la période IP qui n’est ni une période d’affinage, ni une réserve pour finir le travail non terminé.
Pratique d’hygiène collective n°5 : “Triez ses déchets”
Appliquer à soi et à l’équipe la pratique du Lean 5S : éliminer, ranger, nettoyer, standardiser et respecter son espace de travail. Ou appliquer sa formulation agile un peu moins opérationnel “La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle”, principe n°11 du Manifeste Agile – tiens, encore un des derniers lus -.
Quand avez-vous fait le tri de votre environnement de travail collectif la dernière fois ?
Pratique d’hygiène collective n°6 : “Evitez une peau sèche à les savonner trop souvent”
L’intensification du travail amenée par un usage immodéré de l’amélioration continue amène au rejet de celle-ci. Toute bonne pratique peut amener à l’excès. Il faut savoir là aussi limiter son hygiène. L’amélioration continue est souhaitable mais il nous faut prendre conscience de ses limites. Voir l’excellente suite de reportages sur la mise à mort du travail qui vous permettra d’élargir vos perspectives sur cette pratique, sans ni la sacraliser ni la rejeter, simplement en acceptant ses contours et paradoxes.
Pratique d’hygiène collective n°7 : “Passez au savon écologique”
Les collectifs ne sont pas un troupeau de moutons, au plus grand malheur de managers qui chercheraient à les contrôler, au bonheur des leaders qui attendent d’eux plus que de sauter dans le ravin.
Respectez les collectifs et offrez-leur un espace de confrontation et de controverse. La direction n’est peut-être pas la bonne ; même un leader doit l’accepter et rester à l’écoute. Sans parler bien sûr du chemin qui sera toujours semé de péripéties.
Conclusion
J’espère que vous avez apprécié cet article. N’hésitez pas à me faire un retour et à prolonger le débat d’idées sur les pratiques que vous avez pu mettre en place !
Effectivement le terme sprint utilisé par Scrum peut porter à confusion. En fait ce terme ne s’applique pas à l’équipe mais aux items du backlog (les stories pour ceux qui en utilisent). Ce sont les stories qui doivent sprinter de TODO à DONE afin de générer rapidement du feedback pour l’équipe et de la valeur pour les utilisateurs.
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Bonjour Kyriakos, je partage ton explication. Il n’en est pas moins que la confusion persiste et que le terme “sprint” entraîne un climat différent auprès de ceux qui utilisent ce terme quotidiennement.
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