Qu’il est difficile d’accompagner l’Humain dans les transformations qui s’opèrent dans nos organisations ! Le poids de la complexité humaine est parfois écrasant. Elle nous pousse souvent à abandonner des sujets que l’on qualifie de sensibles. Sensibles car souvent liés à l’impact émotionnel que ces sujets génèrent lorsqu’on les évoque. C’est pourtant bien ces sujets qui doivent être adresser en priorité comme nous le rappelle David Beck, coach agile, dans un de ses posts LinkedIn :
Si c’est un sujet sensible c’est visiblement celui-là dont il faut parler en priorité plutôt que de l’éviter absolument.
Pour accompagner la transformation agile d’une équipe, on se traîne parfois quelques casseroles présentes avant même le lancement de la transformation : un historique de contrôle managériale pesant, des conflits entre co-équipiers qui n’ont jamais été résolu, des changements et décisions qui ont été imposés à l’équipe sans explication, comme d’autres tensions qui n’ont jamais été résolues. Il n’est pas rare de confondre les impacts liés à la transformation agile avec ces tensions. Mais ils n’ont souvent aucun lien entre eux. En réalité, l’Agilité agit comme un élément révélateur des problèmes existants.
Pour vous encourager à ne pas éviter ces tensions, je vous propose mon retour d’expérience sur une approche que j’ai pu tester sur un précédent accompagnement. J’étais alors coach agile mais je cherchais en périphérie de mon rôle à régler les problèmes humains et organisationnels plutôt qu’à rester dans ma zone de confort, mon cadre d’intervention initiale d’expert en méthodes agiles.
La médiation non-violente au service des tensions organisationnelles
J’utilise le terme de « tension organisationnelle » pour regrouper ces casseroles. Il me semble que ce terme met en avant la nécessité pour l’Organisation de traiter ce problème plutôt que de le considérer comme un problème individuel. Mais vous pouvez tout aussi bien le remplacer par le mot de « conflit » (mais alors faites attention car par habitude on évite les conflits…).
Sur une transformation agile que j’ai accompagnée, un jeu relationnel entre 3 personnes a pris de plus en plus de place. Ces dernières avaient précédemment enterré le conflit en ne travaillant plus ensemble (ce qui posait des soucis de cohérence fonctionnelle sur l’application dont elles avaient la charge). Le travail en équipe agile avait révélé cette tension car d’une certaine façon elles étaient forcées par le système à travailler vraiment ensemble. Le management se sentait désarmé : « le conflit dure depuis plus de 5 ans ». Il avait abandonné : « on a même essayé un coaching d’équipe mais rien n’a marché jusqu’à présent ». C’était le sujet sensible que personne ne souhaitait traiter. J’ai alors proposé une nouvelle approche, la médiation non-violente, que le management accepta d’essayer : « de toute façon, on n’a plus rien à perdre ».
Comment préparer la session ?
J’ai rencontré au préalable et séparément chaque partie pour m’assurer que chacun souhaiter une résolution du conflit et était d’accord pour essayer une nouvelle approche que je leur ai présenté brièvement. Cela m’a d’ailleurs permis de leur apporter une écoute neutre et leur permettre de faire vider leur sac avant la session.
Dans les parties rencontrées, je me suis entretenu avec le manager hiérarchique de ces personnes en lui présentant mon analyse initiale – la présence d’un triangle de Karpman dans lequel il jouait l’un des rôles -, et une demande – sortir du jeu et ne pas participer à la suite des ateliers -.
Je n’ai pas trouvé de cadre d’intervention de la médiation non-violente par la suite. Aussi, je me suis inspiré d’une vidéo pour en extraire un cadre à expérimenter. Aussi me faut-il préciser que je pratique la communication non-violente depuis 4 ans. La médiation est ainsi un peu plus accessible pour moi car je ne pars pas de zéro.
Comment introduire la session ?
« Je vous rappelle l’objectif de la session d’aujourd’hui : identifier vos propres besoins, de vous écouter mutuellement et d’effectuer des demandes claires aux autres. » (L’objectif)
« Avant de commencer, je tiens à vous présenter les règles de notre échange. Tout ce que vous direz restera dans cette pièce et nos échanges resterons confidentiels. Je ne partagerai aucune information avec votre management sans votre autorisation au préalable. Dans cette pièce, nous ne couperons pas la parole de l’autre. Je veillerai à assurer une bonne distribution de la parole entre vous. Vous êtes invités à dire ce qui se passe en évitant les critiques et les accusations. Si ce n’est pas le cas, pas de soucis je vous aiderai à aller au-delà des critiques pour creuser les sujets. » (Les règles)
« Mon rôle est de garantir la bonne application du cadre que je viens de vous présenter. Êtes-vous toujours d’accord pour que je facilite la session ? Avez-vous confiance en moi pour vous amener à une résolution ? » (Le rôle du médiateur)
La dernière question est personnelle car ce fut ma première session et j’avais besoin d’un acte de confiance de leur part pour me mettre en situation de réussite. Je fais référence aux 3 conditions de succès d’un accompagnement : avoir confiance aux autres, avoir confiance en soi, avoir confiance au processus.
Comment mener la session ?
Voici le processus que j’ai extrait de la vidéo précédente :
- Accord des médiants de se faire aider (avant la session et à son lancement)
- Besoin commun de résolution de la part des médiants (premier tour de table)
- Ecoute des observations et sentiments d’une des parties et reformulation des besoins satisfaits et non satisfaits
- Ce que l’autre entend de plus profond que les critiques (si critique il y a)
- Sentiment provoqué par les besoins de l’autre
- Co-construction d’une solution acceptable
- Répétition des étapes 3, 4, 5 et 6 pour que chacun reparte satisfait et avec le sentiment d’avoir été écouté
J’avais également noté quelques points d’attention à suivre pendant la session :
- Poussez les médiants à s’adresser au médiateur lorsque les critiques arrivent pour éviter l’envie de réponse de la personne qui reçoit.
- Demander l’accord de la personne qui a terminé de parler avant de redistribuer la parole pour témoigner du respect de l’écoute.
- Aider les médiants à distinguer les faits des émotions, des moyens de satisfaire les besoins, et des besoins eux-mêmes.
Le résultat et mes apprentissages
Résultat court terme
Ce qui a été convenu entre les parties : le problème ne vient pas des personnes, il vient du cadre de travail qui n’est pas suffisamment clair, et où chacun ne se sent pas à la bonne place. Ce qui a alors été convenu fut de passer à l’adaptation du cadre de travail : les règles du processus, le rôle et lieu de travail de chacun.
Les médiants m’ont aussi partagé être satisfaits de cet échange ; ils se sont sentis écoutés et compris. Ils furent étonnés du format ce qui est plus qu’une évidence.
Mon seul regret : avoir lâché trop vite la partie tension pour ne travailler uniquement sur le cadre. La session, bien qu’ayant duré 2h30, ne m’a pas semblé suffisante et nous ne sommes pas aller au bout des demandes mutuelles, ni ne les avons suivis. Mais je n’avais ni le souhait ni la possibilité d’imposer une suite à ce premier atelier.
Résultat long terme
Les relations furent apaisées mais restèrent faibles ; une des parties ayant considérée que leurs cadres de réflexion et d’action étaient trop éloignés pour travailler ensemble. Je n’ai pas vu le résultat au-delà de 6 mois étant parti sur une nouvelle mission.
Mes apprentissages
Quelle expérience ! La session en elle-même était intense. En tant que médiateur, tenir le cadre et maîtriser sa communication est chose très difficile. Je suis satisfait d’avoir trouvé et formalisé ce cadre d’accompagnement. Je trouve qu’il correspond à mes principes d’accompagnement : être bienveillant avec les personnes, les laisser traiter leur problème et croire en eux, faciliter leur cadre de réflexion et d’échange en posture basse. Le cadre me semble bon bien que son usage nécessite de l’expérience pour pouvoir mener à des résultats significatifs.
A vous de construire la suite, oser adresser les sujets sensibles, et recréer des ponts entre les individus 🙂
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