L’Agilité sans humanisme n’est qu’illusion

Je suis parti d’une question assez simple, “l’Agilité est-elle sincèrement souhaitée par tous?“, et ce que j’ai découvert après des mois d’observations, de pratiques et de réflexions m’a bluffé.

La quasi-totalité des agilistes que je connais ont entendu des verbatims qui vont dans un même sens:

“L’agilité ne marchera jamais avec cette personne, elle n’est pas du tout faite pour cette approche”

“Les développeurs il faut les fliquer, ce sont des incapables”

“Ce manager n’arrivera pas à faire confiance aux autres; nous n’irons jamais au-delà de la méthode qu’il impose”

Les mots utilisés et le niveau d’intensité de ces discours – difficile à retransmettre par écrit – m’amène à établir qu’il existe des conflits forts entre les cadres référentiels des interlocuteurs. Il n’est plus question d’un débat d’idée classique; ces situations décrivent des frictions au niveau des croyances des interlocuteurs.

J’en viens donc à formuler une thèse simple mais qui me semble fortement utile pour qui souhaite atteindre son objectif via des moyens agiles:

L’Agilité sans humanisme n’est qu’une illusion.

La suite de l’article développe et défend cette thèse.

Se représenter l’Agilité par niveaux de profondeurs

L’Agilité présente différents niveaux de profondeurs que je vous ai représenté sur le schéma ci-dessous (ceci est une tentative d’iceberg!):

Je suppose que vous avez déjà entendu parler des outils agiles (JIRA & Cie), des pratiques (les daily nous sauverons tous – ou pas -), des principes (“le logiciel opérationnel c’est bien”) et les valeurs (“Les interactions et les individus c’est plus important que les process”).

Je vous propose d’ajouter à votre compréhension un niveau de profondeur supplémentaire: les croyances sur lesquelles se base l’Agilité d’aujourd’hui (par opposition à l’Agilité très axé production informatique de 2001 avec son Manifeste internationalement connu).

Quelles différences faut-il faire entre les valeurs et les croyances? Les valeurs concernent le bien et le mal. L’agilité définit par exemple que travailler avec le client c’est bien, la négociation contractuelle ça l’est moins. Les croyances concernent ce que qu’est le vrai et le faux. Je vous donnerai une explication exhaustive des croyances agiles dans la prochaine partie.

Pourquoi les croyances des individus sont peu visibles? Les croyances sont surtout moins accessibles que les autres niveaux. Sur le terrain, les équipes ont déjà du mal à se réserver du temps pour échanger sur leurs valeurs dans un esprit d’amélioration continue. Alors viser une compréhension partagée des croyances des membres de l’équipe semble bien plus ardu. Notons toutefois qu’en théorie, elle sont visibles. Si vous êtes un excellent observateur, vous avez accès au niveau de croyance des individus de la part la pensée qu’ils développent et les actions qu’ils entreprennent. Mais cela demande de l’énergie, une écoute impeccable, un intérêt authentique pour l’autre et une posture basse. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille de vous renseigner sur les compétences d’un coach professionnel.

Quand considérer les croyances des individus au sein d’une équipe agile? L’équipe apprend au fur et à mesure de sa pratique,
que les outils imposés au départ par le référent agile sont en réalité négociable,
que les pratiques sélectionnés au démarrage peuvent être modifiées pour d’avantage d’efficacité,
que les principes peuvent être surpassés une fois que l’équipe a atteint un niveau de maturité adéquat (le “Ha” de Shuhari),
que les valeurs doivent être préservées coûte que coûte pour maintenir la cohérence d’ensemble.

Pour ce qui concerne les croyances, il est nécessaire de vérifier leur présence dès le départ. Découvrir en court de route qu’il y a des frictions entre les croyances d’un collectif ne semble évidemment pas la meilleure option. Discuter dès la création des équipes des croyances de chacun pourrait devenir une pratique seine des transformations agiles. Faire de l’agilité sans être aligné sur ses croyances d’équipes, c’est un peu comme un château de cartes: nous avons l’illusion qu’il tient en place mais au premier souffle il s’écroule.

Alors, de quelles croyances parlons-nous?

Chercher à définir ce qu’est l’humanisme, c’est commencer un long chemin intellectuel. Je vous demanderai un peu de courage et de concentration car cela en vaut la peine.

Vous apprendrez certainement comme moi que c’est un mot qui a beaucoup évolué au cours de l’histoire, qui a reçu beaucoup de critiques et qu’il est utilisé à notre époque comme un mot fourre-tout. Je vous conseille pour commencer de lire les deux articles de Wikipédia pour avoir une base de compréhension: l’humaniste et sa critique. Parmi l’ensemble des définitions données à ce mot au travers des deux articles, il me paraît intéressant d’en retenir deux:

  1. L’humanisme présente un “rôle actif des capacités intellectuelles humaines dans l’élaboration de la réalité de toute chose”. Autrement dit, l’Humain, par son intellect, peut agir sur ce qui le réel qui l’entoure.
  2. L’humaniste est “une théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même”. Autrement dit, le monde d’hier et d’aujourd’hui, l’Humanité, a été construit par des Hommes comme vous et moi.

Au risque d’utiliser moi-même ce mot avec un sens tronqué, je vous en donne ma propre définition que j’utilise dans cette thèse:

L’humanisme, c’est croire en la capacité de l’Homme à penser, réfléchir et modeler le monde qui l’entoure.

Soyons clair. Il n’y a pas de collaboration sans considération des autres: considération envers les capacités de nos collègues, envers l’intelligence de nos clients et nos partenaires.

La pensée agile est quant à elle fondamentalement positive envers les Hommes et leurs capacités à innover et à réaliser à plusieurs.

Pour vous permettre de prendre conscience des liens forts qu’il existe entre l’Agilité et l’Humanisme, je vous propose un peu de littérature de penseurs qui croient en l’Homme:

  • “Reconnaître la dignité propre à chaque personne et le potentiel intellectuel, artistique, éthique et spirituel de tout être humain”, extrait de l’article 1 de La charte de la Terre, Mikhaïl gorbatchev
  • “Tout humain est créatif. La tâche du leader visionnaire consiste à créer un milieu de travail qui libère ce don naturel”, La sagesse du moine qui vendit sa Ferrari, Robin S. Sharma
  • “Être homme, c’est précisément être responsable […] C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde.”, Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry
  • “Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.”, La peste, Albert Camus

Des croyances contraires à l’Agilité

A l’inverse, je vous proposer une liste de croyances incompatibles à la mise en place de l’agilité:

  • Considérer que les gens sont des incapables; il faut par conséquent les contrôler, les encadrer.
  • Séparer ceux qui pensent de ceux qui exécutent. Cette croyance a été mis en avant au travers du taylorisme: les ingénieurs pensent les tâches, les opérateurs exécutent. Cette croyance reste encore très présente au XXIe siècle comme nous pouvons le voir au travers des répartitions des tâches: ceux qui conçoivent, ceux qui font, ceux qui testent et ceux qui maintiennent en condition.
  • Considérer que les gens sont fainéants. Nicolas Bouzon & Julia de Funès le formulent très efficacement dans leur livre La comédie inhumaine: “Le management traditionnel et paternaliste est fondé sur un précepte: les individus préfèrent ne pas travailler”.
  • Considérer l’autre comme inférieur à soi. Faut-il vraiment démontrer l’omniprésence du jugement dans notre société?

L’Agilité intensifie la collaboration et la transparence; cela a aussi pour conséquence d’intensifier les frictions entre les collaborateurs ayant des croyances différentes. Autant ces différences de croyances sont présentes dans des structures en silos et/ou pyramidales, autant les frictions qu’elles génèrent sont moins fréquentes et moins visibles. L’intensification des frictions entre croyances opposées sont un sujet RH largement sous-estimé. Son impact sur la réussite projet commun d’entreprise pourrait cependant être significatif. Malheureusement et comme beaucoup de sujets de sciences molles, en déterminer un coût pour l’entreprise me semble un exercice mort-né.

Comment utiliser cette thèse au sein de l’Entreprise?

Prendre conscience c’est avoir déjà fait un grand pas vers la résolution du problème. Il me paraît important de comprendre que les problématiques liées à la mise en place de l’Agilité ne sont pas situent pas nécessairement aux niveaux des outils, des pratiques, des principes ou des valeurs. Elles peuvent aussi se situer au niveau des croyances.

Est-ce le rôle de l’entreprise d’éduquer ses salariés? Si tant est que cela soit possible, de mon point de vue, ce n’est pas souhaitable. Enseigner oui, éduquer non. L’éducation est un domaine réservé à une relation parent-enfant et non une relation adulte-adulte (je fais ici référence à l’analyse transactionnelle). Il n’est donc pas souhaitable de faire porter un rôle d’éducateur à qui que ce soit au sein de l’entreprise.

Est-ce un problème pour la personne qui ne partage pas ce cadre de référence? A mon sens, non et il est nécessaire de dédramatiser la situation. Bien que l’on parle d’agilité à l’échelle des entreprises, il y aura toujours en son sein des environnements non-agiles. Il est donc nécessaire que l’agilité reste une proposition à chaque individu d’un même collectif. Il ne doit pas y avoir de mal de refuser cette proposition à titre individuel et avec un sens des responsabilités. Il existe et existera toujours d’autres cadres de travail qui permettront aux personnes, ne partageant pas cette croyance agile humaniste, de s’épanouir.

Sur quels processus la RH peut-elle agir? Il y en a plusieurs :

  • Le recrutement, en renforçant la prise en compte des croyances des candidats – j’en parlais d’ailleurs dans mon article sur le cas du recrutement d’un Scrum Master -.
  • La gestion de carrière, en prenant en compte les environnements agiles et non agiles.
  • Le design organisationnel et les transformations organisationnelles, en considérant les croyances dans la mise en place des collectifs.

3 thoughts on “L’Agilité sans humanisme n’est qu’illusion

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